Charles de Brosses, Lettres familières sur l’Italie

In a letter, de Brosses describes a performance he witnessed in Siena, by the improvisatore Perfetti. De Brosses states his admiration for the performer’s skill, but suggests that his poetry would make little sense in writing.

Performer Name:
Perfetti
Performance Venue:
Siena
Performance Date:
 
Author:
de Brosses, Charles
Date Written:
1739
Language:
French
Publication Title:
Lettres familières sur l’Italie
Article Title:
Le poète improvisateur
Page Numbers:
166-68
Additional Info:
 
Publisher:
les Amis de l’histoire
Place of Publication:
Paris
Date Published:
1969

Text:

[166] Le spectacle le plus singulier que nous ayons eu pendant notre séjour à Sienne, nous a été donné par le chevalier Perfetti, improvisateur de profession. Vous savez quels sont ces poètes qui se font un jeu [167] de composer sur-le-champ un poème impromptu, sur un sujet quolibétique qu'on leur propose. Nous donnâmes au Perfetti l'aurore boréale.

Il rêva, tête baissée, pendant un bon demi-quart d'heure, au son d'un clavecin qui préludait à demi-jeu. Puis il se leva, commençant à déclamer doucement strophe à strophe en rimes octaves, toujours accompagné du clavecin qui frappait des accords pendant la déclamation, et se remettait à préluder pour ne pas laisser vides les intervalles au bout de chaque strophe. Elles se succédaient d'abord assez lentement. Peu à peu la verve du poète s'anima, et à mesure qu'elle s'échauffait, le son du clavecin se renforçait aussi. Sur la fin, cet homme extraordinaire déclamait comme un poète plein d'enthousiasme. L'accompagnateur et lui allaient de concert avec une surprenante rapidité.

Au sortir de là, Perfetti paraissait fatigué; il nous dit qu'il n'aimait pas à faire souvent de pareils essais, qui lui épuisaient le corps et l'esprit. Il passe pour le plus habile improvisateur de l'Italie. Son poème me fit grand plaisir; dans cette déclamation rapide il me parut sonore, plein d'idées et d'images.

C'était d'abord une jeune bergère qui se réveille, frappée de l'éclat de la lumière; elle se reproche sa paresse, et va réveiller ses compagnes; leur montre l'horizon déjà doré des premiers rayons du jour, leur représente qu'elles auraient déjà dû conduire leurs tropeaux dans les prairies émaillées de fleurs. Les bergères se rassemblent; le phénomène augmente: la foudre du maître des cieux s'élance de toutes parts d'un globe obscur qui menace la terre; les vagues enflammées se débordent sur les campagnes: la terreur saisit toutes les bergères. Vainement une d'entre elles, plus instruite que les autres, veut expliquer les causes physiques du phénomène; tout fuit, tout se disperse, etc.

[168] Ce canevas tourné poétiquement, rempli de phrases harmonieuses, déclamées avec rapidité, jointes à la difficulté singulière de s'assujettir aux strophes en rimes octaves, jette bien vite l'auditeur dans l'admiration et lui fait partager l'enthousiasme du poète. Vous devez croire néanmoins qu'il y a là-dessous beaucoup plus de mots que de choses. Il est impossible que la construction ne soit souvent estropiée et le remplissage composé d'un pompeux galimatias. Je crois qu'il en est un peu de ces poèmes comme de ces tragédies que nous faisons à l'impromptu, M. Pallu et moi, où il y a tant de rimes et si peu de raison; aussi le chevalier Perfetti n'a-t-il jamais rien voulu écrire, et les pièces qu'on lui a volées tandis qu'il récitait, n'ont pas tenu à la lecture ce qu'elles avaient promis à la déclamation.

Notes:

Letter dated October 1739.

Collected by:
DP