J. C. L. Simonde de Sismondi, De la littérature du Midi de l’Europe

Sismondi provides a description of the art of improvisation as part of a more general exposition of Italian literature. He describes the type of talent required for improvisation, the typical subjects and form of the art, and then names some of Italy’s most accomplished improvisatori.

Performer Name:
Gianni; Corilla; Bandettini; Fantastici; Mazzei
Performance Venue:
 
Performance Date:
 
Author:
Sismondi, J. C. L. Simonde de
Date Written:
 
Language:
French
Publication Title:
De la littérature du Midi de l’Europe
Article Title:
Littérature Italienne
Page Numbers:
3:92-98
Additional Info:
2nd edition
Publisher:
 
Place of Publication:
Paris
Date Published:
1819

Text:

[92] L'Italie, cependant, possède encore une autre classe de poètes, dont le talent fugitif ne laisse après lui aucun monument, mais cause peut-être en revanche, dans le premier moment, une jouissance d'autant plus vive. Nous n'aurions donné qu'une idée [93] bien imparfaite de la poésie italienne, si nous ne disions aussi quelques mots des improvisateurs. Leur talent, leur inspiration, l'enthousiasme qu'ils excitent, sont des traits caractéristiques de la nation. C'est en eux qu'on voit surtout comment la poésie est un langage plus immédiat de l'âme et de l'imagination; comment les pensées prennent cette forme harmonieuse dès leur naissance; comment la musique du langage et le coloris des tableaux sont tellement attachés au sentiment, que le poète a en vers un esprit qu'il n'aurait point en prose, et que celui qui est à peine digne d'être entendue quand il parle, devient fécond, entraînant, sublime quelquefois, dès qu'il s'abandonne à cette inspiration.

Le talent d'improviser est un don de la nature, et un don qui n'est souvent point en rapport avec les autres facultés. Quand il se manifeste dans un enfant, on cherche à cultiver son esprit par l'étude, à lui faire connaître tout ce qui peut être mis au service de la poésie, mythologie, histoire, sciences, philosophie: mais le don du ciel lui-même, ce second langage plus harmonieux, qui se soumet sans effort à la forme technique, on n'y peut rien changer, on n'y peut rien ajouter, et on le laisse à lui-même pour qu'il se développe. Les sons appellent des sons correspondans, les rimes se ran- [94] gent d'elles-mêmes à leur place, et l'âme ébranlée ne peut se faire entendre qu'en vers, comme une corde sonore lorsqu'elle est frappée, se partage d'elle-même en parties harmoniques, et ne peut faire entendre que des accords.

Un improvisateur demande un sujet, un thème à l'assemblée qui doit l'entendre: les sujets de la mythologie, ceux de la religion, l'histoire, et les événemens du jour, lui sont sans doute plus souvent offerts que tous les autres; mais ces quatre classes contiennent, après tout, plusieurs centaines de sujets divers qu'on peut considérer comme rebattus, et il ne faut pas croire qu'on rende service au poète en le questionnant sur un sujet qu'il a déja traité. Il ne serait pas improvisateur, s'il ne s'abandonnait pas tout entier à l'impression du moment, et s'il recourait à sa mémoire, plutôt qu'à son ébranlement. Après avoir reçu son sujet; l'improvisateur reste un moment à méditer, pour le voir sous toutes ses faces, et faire le plan du petit poëme qu'il va composer. Il prépare ensuite les huit premiers vers, afin de se donner l'impulsion à lui-même en les récitant, et de se trouver par-là dans cette disposition d'âme qui fait de lui un être nouveau. Après sept ou huit minutes, il est prêt, et il commence à chanter; et cette composition instantanée a souvent cinq ou six cents vers. Ses yeux s'éga- [95] rent, son visage s'enflamme, il se débat avec l'esprit prophétique qui semble l'animer. Rien dans notre siècle ne peut représenter, d'une manière plus frappante, la Pythie de Delphes, lorsque le dieu descendait sur elle, et parlait par sa bouche.

Il y a un mètre plus facile, le même dont Métastase s'est servi dans sa Partenza a Nice, qui s'arrange avec un air connu sous le nom d'air des Improvisateurs; c'est celui qu'ils emploient lorsqu'ils ne veulent point se donner de peine, ou lorsqu'ils n'ont pas le talent de s'élever plus haut. Ce sont des couplets de huit vers de sept syllabes, partagés en deux quatrains, et chaque quatrain terminé par un vers tronco, en sorte qu'il n'y a proprement que deux vers de rimés par quatrain. Le chant soutient, il affermit la prosodie, et il couvre, s'il le faut, les vers défectueux; en sorte que cette manière d'improviser est à la portée de gens d'assez peu de talent. Mais tous les improvisateurs ne chantent pas; quelques-uns des plus célèbres n'ont point de voix, et sont obligés de déclamer leurs vers aussi rapidement que s'ils les lisaient; d'ailleurs les plus illustres se font un jeu de s'asservir aux règles de la versification la plus contrainte. Selon la volonté de celui qui leur donne un sujet, ils se soumettent ou à la rime tierce du Dante, ou aux [96] octaves du Tasse, ou à toute autre forme non moins gênée; et cette contrainte de la rime et des vers, semble augmenter leur éloquence et la richesse de leur imagination. Le célèbre Gianni, le plus surprenant des improvisateurs, n'a rien écrit dans le calme du cabinet qui puisse soutenir son immense réputation; mais quand il improvise, des tachigraphes saisissent ses vers avec rapidité: on les a imprimés, et l'on y trouve, avec admiration, une hauteur de poésie, une richesse d'images, une force d'éloquence, quelquefois même une profondeur de pensées, qui le mettent de niveau avec les hommes qui ont fait le plus d'honneur à l'Italie. La fameuse Corilla, qui fut couronnée au Capitole, se distinguait surtout par son imagination riante, sa grâce, et souvent sa gaîté. La Bandettini de Modène, élevée par un jésuite, apprit de lui les langues anciennes; elle se familiarisa avec les classiques, elle s'attacha ensuite aux sciences, afin d'être en état de répondre sur tous les thèmes qui lui seraient proposés, et elle a donné pour nourriture à son talent poétique une vaste étendue de connaissances. La Fantastici, femme d'un riche orfèvre de Florence, ne s'est point livrée à des études si relevées; mais elle avait reçu du ciel une oreille musicale, une imagination digne du nom qu'elle portait, et une facilité, une fécondité [97] que secondait une voix harmonieuse. Madame Mazzei, née Landi, d'une des meilleures familles de Florence, surpasse peut-être encore toutes les autres par la fertilité de son imagination, la richesse et la pureté de son style, l'harmonie et la parfaite régularité de ses vers. Elle ne chante point, absorbée par l'invention, et sa pensée devançant toujours ses paroles, elle ne peut soigner sa déclamation, et sa récitation n'est pas gracieuse; mais dès qu'elle commence à improviser, la langue la plus harmonieuse prend dans ses vers de nouvelles beautés; on est ravi, on est entraîné par ce fleuve magique; on se sent transporté dans un nouvel univers poétique, et on s'étonne de voir les hommes parler ainsi le langage des dieux. Je lui ai vu traiter les sujets les plus inattendus; caractériser dans de magnifiques octaves le génie du Dante, de Macchiavel, de Galilée; pleurer en rime tierce la gloire passée de Florence et sa liberté détruite, improviser un fragment de tragédie sur un sujet que les poètes tragiques n'ont jamais traité, de manière à faire dans un petit nombre de scènes sentir le noeud, et prévoir un dénouement; remplir, toujours sur les mêmes rimes qui lui avaient été données, cinq sonnets différens, sur cinq sujets opposés. Mais il faut l'entendre elle-même pour concevoir le prodigieux empire de cette éloquence [98] poétique, et pour sentir qu'une nation, au milieu de laquelle brûle encore cette flamme d'inspiration, n'a pas accompli sa carrière littéraire, et est peut-être réservée à une gloire plus grande que celle qu'elle a déjà acquise.

Notes:

 

Collected by:
DP