François Arnaud, “Ode à des alouettes prises dans des filets”

Arnaud relates Anna Louisa Karsch’s extraordinary ability for poetic improvisation to the Greek conception of poetic excellence. After this follows her extemporized ode to larks caught in nets.

Performer Name:
Anna Louisa Karsch
Performance Venue:
 
Performance Date:
 
Author:
Arnaud, François
Date Written:
 
Language:
French
Publication Title:
Journal Étranger
Article Title:
Article X: ODE à des alouettes prises dans des filets
Page Numbers:
210-13
Additional Info:
March 1762 issue
Publisher:
 
Place of Publication:
Paris
Date Published:
1762

Text:

[210] Nous n'avions encore apperçu dans les productions de Madame Karsch, cette célebre improvisatrice du Nord, que des traits pleins de chaleur, d'élévation & de hardiesse: le morceau suivant ne nous permet pas de douter que son coeur ne soit aussi sensible que son imagination est ardente & impétueuse: le sentiment y marche à côté du sublime. Cette femme, vraiment extraordinaire, justifieroit elle seule l'idée que les Grecs s'étoient formée, & qu'ils nous ont transmise du talent pour la Poésie: tout ce qui frappe ses sens met en mouvement toutes les facultés de son ame. Ne soyons pas surpris si tous les Poëtes se sont énoncés comme s'ils étoient d'une nature supérieure a celle du commun des hommes. Il semble en effet que c'est à eux seuls que la nature a confié ses secrets & a dévoilé ses [211] rapports. Jupiter fait les Rois, dit Homere, & Apollon les Poëtes. Heureux les enfans d'Apollon!

QUE je vous plains petites alouettes enfermées dans ces filets! vous chantiez du haut des airs, & vos chants remuoient le coeur du juste, pendant qu'ils ne frappoient que l'oreille de l'impie.

Charmantes meflageres du printems! vous faisiez entendre votre ramage au Laboureur qui préparoit sa charrue, & qui voyant la terre se dépouiller de ses glaçons, commençoit à se promettre de l'herbe pour ses troupeaux.

Lorsque long-tems après les premiers regards du soleil, les habitans de la ville appesantis par les vapeurs du repas de la veille dormoient encore, déja le Berger vous écoutoit, & chantoit comme vous, la joie & le bonheur.

Les genisses paissoient l'herbe haute; le Pâtre s'arrêtoit au pied d'un chêne pour vous entendre, & la vallée voyoit une multitude d'enfans accompagner vos chants, de danses & de jeux.

[212] La belle Galathée prenant le jeune Berger Myrtil par la main, lui disoit: les alouettes chantent, mon bien aimé! viens les écouter, &, si tu peux, imite leurs doux chants.

Le Berger favorisé de la muse sacrée qui avoit inspiré Abel, prenoit sa lyre, chantoit, & ses chants ressembloient aux vôtres.

Alors le long des belles joues de Galathée couloient des larmes aussi brillantes que les gouttes de rosée qui tombent dans une belle matinée du printems; cependant vous ne cessiez de saluer les fleurs des prairies par votre ramage.

Les Moissonneurs allant aux champs vous écoutoient pleins de gaité, en se tenant par la main; & au milieu du tumulte des armes, le Héros tout couvert de sueur & de poussiere prêtoit l'oreille à vos chants.

Souvent vous abaissiez vos aîles grisatres, & vous veniez chercher votre pâture dans le creux des sillons. C'est ainsi que les soins de ma subsistance m'ont souvent arraché des chansons foibles & rampantes, & m'ont fait adresser mes vers à des ames abjectes.

[213] Vous ne chantiez plus, lorsque la récolte étoit faite; vous vous taisiez alors, petits oiseaux, & entierement livrés à l'oisiveté, vous vous laissiez attirer dans les filets persides où vous voilà prisonnieres.

Soyez un exemple pour moi. Mon ame détestera à jamais l'oisiveté. Il ne se passera point de jours que je n'exalte mon créateur par des chants nouveaux.

Il me donne à manger le suc du pays; il me rend la vie douce comme du miel. Et moi trop rassasiée, j'oublierois ce Dieu fidele qui ne m'a jamais oubliée, qui ne m'a jamais délaissée?

Je veux lui chanter un cantique sublime, déja mes larmes préludent à mes chants. Ah! puissé-je dans mon ravissement en répandre en abondance, lorsque mon coeur voit la divinité dans mes amis.

Notes:

Collected by:
AE