J. Adrien-Lafasge, “Poème épique improvisé par M. Louis Cicconi”

The author compares Cicconi’s talents with those of various other improvisatori, including Gianni, Sgricci, and Perfetti, noting however that it is Cicconi who first made the successful attempt to improvise an epic poem. The article continues with a description of Cicconi’s performance (on the subject of the destruction of Carthage), and a discussion of the merits and failings of improvisation more generally.

Performer Name:
Cicconi; Sgricci; Perfetti; Gianni; Talma; Metastasio
Performance Venue:
Rome
Performance Date:
 
Author:
Adrien-Lafasge, J.
Date Written:
 
Language:
French
Publication Title:
Revue Encyclopédique
Article Title:
Poème épique improvisé par M. Louis Cicconi
Page Numbers:
42:794-97
Additional Info:
June 1829
Publisher:
 
Place of Publication:
Paris
Date Published:
1829

Text:

[794] ROME. — Poème épique improvisé par M. Louis CICCONI. — Il [795] semble qu'un des résultats les plus remarquables de la révolution française, qui pourrait aussi bien s'appeler révolution universelle, a été cette hardiesse de tentatives en tous genres, cette confiance, par fois un peu aveugle, dans nos propres forces, qui nous pousse vers tout ce qui offre quelque apparence d'un grand succès, et nous inspire je ne sais quel besoin d'aller plus loin que nos prédécesseurs. On doit s'applaudir d'une telle disposition des esprits, qui est toujours profitable aux arts, que le but soit atteint ou non. Les improvisateurs se sont montrés en Italie dès l'époque de la renaissance des lettres; mais, si l'on fût venu proposer aux plus célèbres d'entre eux, à Gianni, par exemple, qui, au commencement de notre siècle, excitait l'enthousiasme, beaucoup plus par le choix de ses sujets que par sa manière de les traiter, d'improviser une tragédie, il eût regardé la chose comme impossible. M. Sgricci s'est chargé de lui donner un glorieux démenti. Si l'on eût demandé à Perfetti, qui reçut au Capitole une couronne rarement obtenue, et, s'il faut tout dire, rarement méritée, de débiter sur-le-champ un poème épique, il se serait trouvé dans un embarras d'autant plus grand, qu'il avait peu d'instruction: M. Cicconi, qui n'en manque pas, a cru pouvoir se hasarder à entreprendre ce qui jusqu'ici n'avait pas encore été tenté. Le nom de ce jeune poète ne doit pas être inconnu aux lecteurs de la Revue, car nous avons annoncé, dans le tems (voy. Rev. Enc.,t. XXXVII, p. 474), une brochure remarquable, dans laquelle M. le baron Malvica donnait à M. Cicconi des conseils et des encouragemens. Les personnes qui ont assisté à la séance d'improvisation qu'il a donnée à Rome, le 3 mai, ont pu reconnaître que ces sages et paternels avis ont été fructueux.

Plusieurs argumens ont été proposés; le sort a désigné la destruction de Carthage. M. Cicconi s'est recueilli un instant, et a commencé. Après avoir exposé son sujet, il a dédié le poème à madame la marquise Gentilina BANDINI-ERRIGHI, femme d'esprit et de talent, qui est elle-même auteur de poésies fort agréables; il a montré les prières et les préparatifs de guerre faits à Rome et à Carthage, dépeint à traits hardis les caractères de Scipion, d'Amilcar, d'Asdrubal et de sa belliqueuse épouse. Le poète a fait ensuite apparaître l'ombre de Didon, qui vient supplier Neptune de soulever ses flots contre les Romains; ce dieu, qui apparemment a perdu sa vieille affection pour les descendans d'Enée, obtempère au désir de l'ombre irritée; mais Vénus vient apaiser la tempête, et Scipion avec ses cohortes aborde en Afrique. Ici commence un [796] épisode qui a excité un vif intérêt, et qui est, à notre avis, ce que le poème a offert de plus gracieux et de plus touchant: Sélène, jeune Carthaginoise, abandonnee le toit paternel pour aller chercher son amant dans les rangs de l'armée; prise par les ennemis, Vénus la change en statue de marbre, qui reprend la vie lorsque son amant s'approche d'elle: cette fiction a été traitée avec un rare bonheur, et a jeté quelque chose de riant au milieu de ce que le sujet pouvait offrir de trop sombre. Viennent ensuite les divers combats où se trouvent mis en action les différens personnages dépeints au commencement du poème: l'on arrive enfin à la prise de Carthage, à la mort héroïque de la femme d'Asdrubal, et à l'hymne que chantent les vainqueurs et qui terminent l'ouvrage d'une manière brillante. L'improvisation a duré deux heures.

Il serait ridicule de chercher dans une composition improvisée ce que l'on a droit d'exiger d'un auteur qui conçoit, médite et écrit à loisir dans le silence et la retraite: d'ailleurs, le charme de l'improvisation est tout fugitif, tout aérien, s'il est permis de parler ainsi; ce qui fait que les défauts frappent quelquefois plus que les beautés. L'analyse si écourtée, si décolorée que nous venons de donner de la destruction de Carthage ne fera que trop connaître, que l'invention et la disposition des événemens constitutifs de l'action n'offraient rien de bien neuf; le cortége des narrations, des descriptions, des invocations, etc., se présentait dans l'ordre accoutumé; pour tout dire, en un mot, les choses se passaient comme dans une infinité d'autres poèmes; mais, de bonne foi, pouvait-il en être autrement? Il nous restera encore assez à louer en disant que le poète à su jeter de l'intérêt sur tous ces sujets tant de fois traités: ses épisodes ont été habilement disposés à la manière de l'Arioste, qui se joue si heureusement de la difficulté d'interrompre, reprendre, abandonner l'action principale, pour y revenir ensuite sans effort. La diction de M. Cicconi est généralement correcte et exempte de la bouffissure et du clinquant assez ordinaires aux improvisateurs qui ont précédé Sgricci. Ses idées se développent avec facilité et son exprimées avec élégance: ses pensées ne manquent pas d'une certaine énergie. Il a du feu et du sentiment, ce qui nous détermine à l'engager à improviser de préférence des tragédies ou des drames, ce qu'il a déjà fait avec succès. Dans ces sortes d'ouvrages, l'intérêt se maintient mieux, l'attention de l'auditeur est plus occupée, il y a de nécessité moins de paroles et plus de mouvement. La manière de réciter est de la plus haute importance pour un improvisateur; on pourrait [797] donc recommander à M. Cicconi, de s'habituer à des gestes simples et nobles, de ménager mieux sa voix, et de s'exercer à en bien conduire les inflexions. Une bonne déclamation fait passer bien des endroits faibles, et même mauvais. Combien de vers misérables n'ont été reconnus pour tels parmi nous, que lorsq'ils ne sont plus sortis de la bouche de notre excellent Talma.

On ne manque presque jamais de terminer les éloges que l'on adresse à un improvisateur, en lui témoignant le regret de ne pas le voir consacrer son talent à une gloire plus solide et plus durable: nous sommes tout-à-fait de cet avis; mais nous ne croyons pas cependant, que la poésie improvisée doive être comptée pour rien: c'est un des rameaux de l'arbre littéraire, il ne faut pas le laisser périr. Engageons les improvisateurs à écrire; à la bonne heure: MM. Sgricci et Cicconi ne se feront pas peut-être beaucoup prier; car, le petit nombre de poésies publié par eux a suffi pour nous prouver qu'ils sont loin d'être de mauvais écrivains: mais gardons-nous d'anathématiser et de frapper d'interdit ces inspirations poétiques, où l'homme se montre comme hors de lui-même et transporté dans des régions enchantées. Métastase aussi était improvisateur, et nous n'avons lu nulle part, que cela l'ait empêché d'obtenir une des places les plus honorables sur le Parnasse moderne.

J. ADRIEN-LAFASGE.

Notes:

 

Collected by:
DP